« Louis Meigret étoit natif de Lyon ; c’est la seule particularité que nous sçachions de lui. Il ne nous est connu que par ses Ouvrages, & par les efforts qu’il fit pour introduire une nouvelle Ortographe dans la langue Françoise. La meilleure partie de sa vie s’est passée à composer, & à traduire en François divers Ouvrages ; & ce qu’on a de lui s’étend depuis 1540 jusqu’en 1558. Comme on n’entend plus parler de lui après cette dernière année, il est à présumer qu’il ne la passa pas de beaucoup. » (Nicéron, 1740, p. 156)
La vie de Louis Meigret comporte encore des zones d’ombre, mais elle se dessine aujourd’hui plus nettement qu’autrefois.
Louis Meigret est né à Lyon vers 1500. Il appartenait à une honorable famille, que l’aîné, Lambert Meigret, a « enrichie et élevée en l’installant à Paris » (Dupèbe et Hamon, 1990, p. 336). En 1522, Louis Meigret est étudiant à Poitiers, probablement en droit. A partir de 1524, la famille est frappée par la disgrâce successive d’Aimé, de Lambert et de Laurent.
Le 25 avril 1524, Aimé Meigret prononce un sermon favorable à la réforme. Condamné par la Sorbonne, Aimé sera emprisonné, puis exilé. Il meurt à Strasbourg en 1528. En 1527, c’est au tour de Lambert d’être inquiété par la justice. Les raisons semblent cette fois financières. Relâché, il est envoyé en mission en Suisse, « il est accusé de duplicité ». Il meurt en 1533, accusé d’être luthérien.
En 1532, Louis et son frère Laurent dit « le magnifique » sont emprisonnés pour avoir « mangé le lard ». Laurent, banni pour cinq ans du royaume, s’installe à Genève.
Louis Meigret est donc à Paris en 1532. C’est peut-être à cette époque qu’il développe sa réflexion sur la langue française. Le contexte y est particulièrement favorable. Le monde de l’imprimerie parisienne compte dans ces années de grands noms. Geoffroy Tory, également traducteur de Lucien, publie le Chamfleury en 1529. Antoine Augereau imprime le Miroir de l’âme pecheresse dans lequel figure la « Briefve doctrine pour deuement escripre selon la propriete du langaige Francoys » (voir l’article de G. Berthon). Robert Estienne publie en 1531 In linguam Gallicam Isagōge, de Jacques Dubois, première grammaire du français parue en France, et compose de nombreux ouvrages pédagogiques.
Louis Meigret déclare avoir lui-même travaillé vers 1531 à une traduction et à un traité sur l’orthographe, à la demande d’un imprimeur qui finalement renoncera à le publier. Meigret évoque cette période dans la préface du Pline (1543), et cet imprimeur qu’il retrouve douze après « merveilleusement changé et refroidi ». Qui était cet imprimeur, assez audacieux pour confier au jeune homme un tel projet ? La critique penche tantôt pour Denis Janot, qui en 1542 publiera le Traité de la commune écriture, d’autres pour Augereau.
L’arrestation de Louis Meigret en 1532, la disgrâce de sa famille (à l’exception de Jean) marquent un coup d’arrêt à sa carrière. Que devient-il alors ? A-t-il été condamné comme Laurent à l’exil ? A-t-il été inquiété en 1534 au moment de l’affaire des Placards ? Retourne-t-il à son régiment ? Louis Meigret passe en effet pour avoir été un homme d’épée. Son style militant et combatif ont longtemps conforté cette image. En réalité il semble avoir mené une carrière de clerc : Hamon et Dupèbe (1990) signalent qu’en 1547 il « bataille pour un canonicat à Notre-Dame de Chartres ». C’en est donc fait du mythe, du Cyrano de l’orthographe, intraitable dans ses convictions comme sur le champ de bataille.
A partir de 1539, s’ouvre une période d’activité ininterrompue. En 1539 L’hystoire du monde de Philon, sa première œuvre connue, redécouverte récemment (voir Demonet 2018). En 1540, paraît une autre traduction, le second livre de Pline. Après ces deux premières publications, Louis Meigret se lie pour plusieurs années à Denis Janot, imprimeur du roi, à l’apogée de sa carrière. Louis Meigret adopte alors pour devise « soli deo honor et gloria », « à un seul Dieu honneur et gloire ».
Selon W. Foerster, Denis Janot serait ce fameux commanditaire de l’année 1531, et donc celui vers qui Louis Meigret naturellement se tourne pour faire publier ses premières œuvres (initialement écrites en orthographe réformée) : la traduction de Pline et le Traité de la commune écriture.
Vers 1544, Meigret est introduit chez les Wechel. Il travaillera d’abord à des traductions. Parmi les commanditaires, figure le nom d’Anne de Montmorency, rentré en grâce avec l’avènement d’Henri II. C’est pour lui que Meigret traduira Polybe et Salluste. Meigret n’est donc pas en rupture avec le pouvoir. S’il a des sympathies pour la réforme, il les exprime de manière prudente.
La période Wechel constitue un moment central dans la carrière de l’auteur. Il parvient progressivement à faire appliquer dans ses textes les principes décrits dans le Traité. Il commence en 1547 par l’introduction d’un nouveau caractère dans sa traduction de Cicéron. Il prévient son lecteur dans une note sur l’orthographe : « Nota que i’ay mis en avant ceste façon de e : comme pour celuy que nous proferons entre a, & e (…) et pour aussy seruir au lieu de la diphtongue, ai, là ou la prolacion sonne en ceste façon de e comme en le seconde syllabe de contraire, aduersaire, qu’abusiuement nous escriuons par ai ».
Suivra la traduction du Menteur de Lucien, tout entière en orthographe réformée, précédée d’un long exposé sur le système graphique adopté. Puis en 1550, Le Tretté de la grammere françoeze. Suivent trois textes polémiques, relatifs à la langue française, également imprimés selon son nouveau système. C’est la « bataille de l’orthographe » dont l’issue est généralement présentée comme défavorable à Meigret.
Par la suite « Meigret se desabusa apparemment de son Ortographe, puisqu’il ne s’en est point servi dans les Ouvrages qu’il donne depuis au Public » (Nicéron, 1740, p. 159).
Il revient alors à la traduction. On note une réédition de Pline (1552), les traductions de Valturin (1555) et de Dürer (1557). Paraît également chez André Wechel un texte personnel, le Discours (1554) dont la préface est souvent citée : Meigret y exprime une dernière fois son aigreur vis-à-vis d’un imprimeur qui préfère son gain à la raison. La position de Meigret est par ailleurs assurée par d’autres activités. Son nom apparaît dans un document qui le signale comme ingénieur : « le 19 janvier 1552, la municipalité parisienne soumet des ‘pourtraitz, devis et modelle’ de travaux au Petit Châtelet à ‘maistre Loys Meigret, ingenyeulx’ » (Hamon et Dupèbe, 1990, p. 337).
Les dernières éditions lyonnaises sont des rééditions. On ne sait pas exactement quel fut le degré d’implication de Meigret dans ces dernières publications, qui ne supposent pas forcément un retour à Lyon. Après 1558, et la dernière édition du Polybe, « nous perdons les traces de Meigret. On ne sait s’il est mort à Paris ou à Lyon, ni s’il a vécu les troubles religieux de Lyon » (Hausmann, 1980a, p. 97).